Au XVIIème siècle il faut plaire et instruire
Nous avons vu en cours lors de l'introduction des Fables de La Fontaine que ses recueils étaient faits dans le but de plaire et d'instruire les lecteurs. Vous pensez alors à Piplay, sa source indienne, qui avait rédigé son recueil de fables appelé le Panchatantra afin d'instruire les Princes.
Cette idée d'instruire et de plaire n'est pas nouvelle et s'inspire de l'antiquité. C'était un réel problème d'instruire car c'était pénible: on a cherché des moyens pour diminuer cette pénibilité qui incombe à chaque homme.
Tout consiste à lier la raison (le DOCERE) avec les humeurs et émotions (le MOVERE) afin d'apprendre plus facilement. Vous saisissez que cette problématique dépasse de loin le cadre d'un genre littéraire mais tend à s'appliquer à toutes les formes d'instruction.
Ces notions sont abordées dans La Poétique d'Aristote (-330 av JC), ouvrage qui inspira toutes les grandes règles (les 3 unités au théâtre, les différents genres littéraires...) pour des siècles à venir et notamment le XVIIème avec ses règles "classiques" qui fixent les genres. (A ce propos veuillez-vous reporter à l'ouvrage de Boileau qui les explique dans son Art poétique, 1694*).
Au XVIIème siècle on s'inspire des modèles anciens qu'on adapte à la langue et la société française (concept d'innutrition vu en classe) d'où la "Querelle des Anciens et des Modernes"* à la fin du siècle (vu en classe également).
Vous comprenez maintenant d'où viennent ces notions et quels sont leurs objectifs: plaire et instruire.
Ce fut une problématique systématique au siècle classique et au-delà.
Voici quelques citations d'auteurs célèbres qui s'expriment à ce sujet:
- Montaigne, Essais, livre III, chapitre 4, 1595:
"Instruire, c’est former le jugement" ; "Je m’avance vers celui qui me contredit, car il m’instruit"; "Instruire ce n’est pas emplir un vase, mais allumer un feu."
- Racine, préface de Phèdre, 1677 - il s'est inspiré d'Euripide, tragédien antique (Vème siècle av JC):
"Il serait à souhaiter que nos ouvrages fussent aussi solides et aussi pleins d'utiles instructions que ceux de ces poètes. Ce serait peut−être un moyen de réconcilier la tragédie avec quantité de personnes célèbres par leur piété et par leur doctrine, qui l'ont condamnée dans ces derniers temps et qui en jugeraient sans doute plus favorablement, si les auteurs songeaient autant à instruire leurs spectateurs qu'à les divertir, et s'ils suivaient en cela la véritable intention de la tragédie."
- Molière, Premier placet présenté au roi sur la comédie du Tartuffe, 1664:
"Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que [...] je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle"
(à propos de ce « Castigat ridendo mores » hérité des latins qui signifie "châtier les moeurs par le rire", application du "docere" et du "movere" dans ses comédies)
- Molière fait défend sa vision de la comédie contre ses détracteurs dans la critique de l'école des femmes, sc. VI (en 1663). Il fait parler Dorante, un des personnages de la pièce pour exposer son opinion:
"Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire ; et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n'a pas suivi un bon chemin. Veut-on que tout un public s'abuse sur ces sortes de choses, et que chacun n'y soit pas juge du plaisir qu'il y prend ?"
- La Bruyère, Les Caractères ou les Moeurs de ce siècle, 1688
"On ne doit parler, on ne doit écrire que pour l’instruction ; et s’il arrive que l’on plaise, il ne faut pas néanmoins s’en repentir, si cela sert à insinuer et à faire recevoir les vérités qui doivent instruire"
- La Fontaine, Fables, 1668-1678:
"Les Fables ne sont pas ce qu’elles semblent être.
Le plus simple animal nous y tient lieu de Maître.
Une Morale nue apporte de l’ennui
Le conte fait passer le précepte avec lui.
En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire,
Et conter pour conter me semble peu d’affaire." (Livre VI, Le pâtre et le lion)
- Voltaire, préface du Dictionnaire philosophique, 1764:
"Nous avons tâché de joindre l’agréable à l’utile, n’ayant d’autre mérite et d’autre part à cet ouvrage que le choix. Les personnes de tout état trouveront de quoi s’instruire en s’amusant."
Micromégas au Saturnien:
"Je ne veux pas qu’on me plaise, je veux qu’on m’instruise"
(Micromégas, 1752). - problématique déplacée qui met l'accent sur le leurre du côté plaisant qu'il y aurait à s'instruire. Pour certain s'instruire est déjà plaisant en soi. -
- André Gide, Préface aux Cahiers d'André Walter, 1930:
"J'appelle un livre manqué celui qui laisse intact le lecteur."
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