Candide et la morale du jardin - Excipit
Candide fait un choix novateur. La décision de Candide "il faut cultiver son jardin" porte condamnation des illusions caricaturées dans le paradis de Thunder-ten-Tronckh - la noblesse, l'amour et la métaphysique - et se réfère au rôle économique et social de l'agriculture, annoncant l'idéal des physiocrates.
Cependant, Pangloss, incorrigible bavard, continue à confondre les mots et les choses. Tantôt il ressasse, comme une mécanique tournant à vide, des références historiques abstraites rapportées à priori à la fragilité des grandeurs royales, tantôt il répète à plaisir les malheurs atroces éprouvés par Candide pour démontrer gratuitement la finalité d'une vie heureuse nourrie de cédrats confits et de pistaches. Néanmoins il se laisser couper la parole par Candide qui prend maintenant la direction de la communauté. Pangloss abandonne désormais le dernier mot à son élève et consent même à justifier théoriquement, à partir d'un à priori métaphysique tiré d'une référence biblique, la nécessité du travail imposée par Candide.
Ainsi la communauté est passée à l'action. Allègrement, efficacement, chacun de ses membres s'est mis au travail et "la petite terre rapporta beaucoup", permettant aux héros d'atteindre le même degré de prospérité que le sage vieillard turc. Une brève revue des personnages montre qu'au contact de cette terre vivifiante, tous évoluent positivement. Cunégonde n'est plus présentée comme une laideron "acariâtre", mais comme une excellente pâtissière. Même un moine comme frère Giroflé se rend utile, apprend - avant l' Emile de Rousseau - le métier de menuisier et devient agréable à fréquenter.
En ce qui concerne la formule finale, d'abord suggérée, puis énoncée et enfin imposée à l'esprit par la répétition, elle ne correspond nullement à une "morale du dégagement" - c'est à dire un repli sur soi égoïste- (Roland Barthes) ni à une morale du désengagement. Elle annonce la pratique personnelle de Voltaire, les vingt années de Ferney consacrées à l'amélioration du sort des paysans déshérités et plus généralement à la lutte pour l'émancipation de l'humanité.
Elle reprend la morale de l'action exaltée dans la XXVè Lettre philosophique. Une nouvelle fois Voltaire soutient contre Pascal que le divertissement est le seul remède efficace à la misère de l'homme. Mais le divertissement ne se conçoit que dans le cadre d'une activité utile, la transformation d'un lopin de terre situé au bout du monde en foyer de civilisation.
Extrait tiré des Balises, Nathan -Candide, Voltaire
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