Tout pour le bac

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Groupes de travail 1: LA QUESTION SUR CORPUS

Les élèves qui fournissent les corrigés sont les suivants: Charlotte et Ludivine; Max et Laura; Chloé et Sarah; Benoît et Hugo S

 

Vous devriez être aptes à lire les différents sujet à l’aune des méthodes maintenant, voici celle de la question sur corpus (cliquez sur cette phrase)

 

Voici la présentation que les binômes devrons adopter:

 

SUJET: OE Théâtre et représentation du XVIIème siècle à nos jours

 

CORPUS (liens vers les textes, ou textes recopiés si vous n'avez pas de liens):

 

Exercices:

- Question sur corpus:

- Réponse à la question:

 

- Commentaire du binôme sur ce qu'il faut retenir au niveau de la méthode d'une part et du contenu d'autre part.

 

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Voici le premier sujet de corpus mis en page: - proposé par Max et Laura

 

Texte A : MOLIERE, Les Fourberies de SCAPIN (1671), acte I, scène 2 
Texte B : RACINE, Phèdre (1677), acte V, scène 6
Texte C : Jean GIRAUDOUX, La Guerre de Troie n’aura pas lieu (1935), acte I, scène 3 
Texte D : Eugène IONESCO, Rhinocéros (1958), acte I 

Texte A : MOLIERE, Les Fourberies de SCAPIN (1671), acte I, scène 2


OCTAVE.- Un jour que je l’accompagnais pour aller chez les gens qui gardent l’objet de ses voeux, nous entendîmes dans une petite maison d’une rue écartée, quelques plaintes mêlées de beaucoup de sanglots. Nous demandons ce que c’est. Une femme nous dit en soupirant, que nous pouvions voir là quelque chose de pitoyable en des personnes étrangères ; et qu’à moins que d’être insensibles, nous en serions touchés.
SCAPIN.- Où est-ce que cela nous mène ?
OCTAVE.- La curiosité me fit presser Léandre de voir ce que c’était. Nous entrons dans une salle, où nous voyons une vieille femme mourante, assistée d’une servante qui faisait des regrets, et d’une jeune fille toute fondante en larmes, la plus belle, et la plus touchante qu’on puisse jamais voir.
SCAPIN.- Ah, ah.
OCTAVE.- Une autre aurait paru effroyable en l’état où elle était ; car elle n’avait pour habillement qu’une méchante petite jupe, avec des brassières de nuit qui étaient de simple futaine [4] ; et sa coiffure était une cornette jaune, retroussée au haut de sa tête, qui laissait tomber en désordre ses cheveux sur ses épaules ; et cependant faite comme cela, elle brillait de mille attraits, et ce n’était qu’agréments et que charmes, que toute sa personne.
SCAPIN.- Je sens venir les choses.
OCTAVE.- Si tu l’avais vue, Scapin, en l’état que je dis, tu l’aurais trouvée admirable.
SCAPIN.- Oh je n’en doute point ; et sans l’avoir vue, je vois bien qu’elle était tout à fait charmante.
OCTAVE.- Ses larmes n’étaient point de ces larmes désagréables, qui défigurent un visage ; elle avait à pleurer, une grâce touchante ; et sa douleur était la plus belle du monde.
SCAPIN.- Je vois tout cela.
OCTAVE.- Elle faisait fondre chacun en larmes, en se jetant amoureusement sur le corps de cette mourante, qu’elle appelait sa chère mère ; et il n’y avait personne qui n’eût l’âme percée, de voir un si bon naturel.
SCAPIN.- En effet, cela est touchant ; et je vois bien que ce bon naturel-là vous la fit aimer.
OCTAVE.- Ah ! Scapin, un barbare l’aurait aimée.
SCAPIN.- Assurément. Le moyen de s’en empêcher ?
OCTAVE.- Après quelques paroles, dont je tâchai d’adoucir la douleur de cette charmante affligée, nous sortîmes de là ; et demandant à Léandre ce qu’il lui semblait de cette personne, il me répondit froidement qu’il la trouvait assez jolie. Je fus piqué de la froideur avec laquelle il m’en parlait, et je ne voulus point lui découvrir l’effet que ses beautés avaient fait sur mon âme.

Texte B : RACINE, Phèdre (1677), acte V, scène 6


THERAMENE
A peine nous sortions des portes de Trézène,
Il était sur son char. Ses gardes affligés
Imitaient son silence, autour de lui rangés ;
Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes ;
Sa main sur ses chevaux laissait flotter les rênes ;
Ses superbes coursiers, qu'on voyait autrefois
Pleins d'une ardeur si noble obéir à sa voix,
L'oeil morne maintenant et la tête baissée,
Semblaient se conformer à sa triste pensée.
Un effroyable cri, sorti du fond des flots,
Des airs en ce moment a troublé le repos ;
Et du sein de la terre, une voix formidable
Répond en gémissant à ce cri redoutable.
Jusqu'au fond de nos coeurs notre sang s'est glacé ;
Des coursiers attentifs le crin s'est hérissé.
Cependant, sur le dos de la plaine liquide,
S'élève à gros bouillons une montagne humide ;
L'onde approche, se brise, et vomit à nos yeux,
Parmi des flots d'écume, un monstre furieux.
Son front large est armé de cornes menaçantes ;
Tout son corps est couvert d'écailles jaunissantes ;
Indomptable taureau, dragon impétueux,
Sa croupe se recourbe en replis tortueux.
Ses longs mugissements font trembler le rivage.
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage,
La terre s'en émeut, l'air en est infecté ;
Le flot qui l'apporta recule épouvanté.
Tout fuit ; et sans s'armer d'un courage inutile,
Dans le temple voisin chacun cherche un asile.
Hippolyte lui seul, digne fils d'un héros,
Arrête ses coursiers, saisit ses javelots,
Pousse au monstre, et d'un dard lancé d'une main sûre,
Il lui fait dans le flanc une large blessure.
De rage et de douleur le monstre bondissant
Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,
Se roule, et leur présente une gueule enflammée
Qui les couvre de feu, de sang et de fumée.
La frayeur les emporte, et sourds à cette fois,
Ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix ;
En efforts impuissants leur maître se consume ;
Ils rougissent le mors d'une sanglante écume.
On dit qu'on a vu même, en ce désordre affreux,
Un dieu qui d'aiguillons pressait leur flanc poudreux.
A travers des rochers la peur les précipite.
L'essieu crie et se rompt : l'intrépide Hippolyte
Voit voler en éclats tout son char fracassé ;
Dans les rênes lui-même, il tombe embarrassé.
Excusez ma douleur. Cette image cruelle
Sera pour moi de pleurs une source éternelle.
J'ai vu, Seigneur, j'ai vu votre malheureux fils
Traîné par les chevaux que sa main a nourris.
Il veut les rappeler, et sa voix les effraie ;
Ils courent ; tout son corps n'est bientôt qu'une plaie.
De nos cris douloureux la plaine retentit.
Leur fougue impétueuse enfin se ralentit ;
Ils s'arrêtent non loin de ces tombeaux antiques
Où des rois ses aïeux sont les froides reliques,
J'y cours en soupirant, et sa garde me suit.
De son généreux sang la trace nous conduit,
Les rochers en sont teints, les ronces dégoutantes
Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes.
J'arrive, je l'appelle, et me tendant la main,
Il ouvre un oeil mourant qu'il referme soudain. 

Texte C : Jean GIRAUDOUX, La Guerre de Troie n’aura pas lieu (1935), acte I, scène 3 


ANDROMAQUE. : Comment arrive-t-on à ne plus aimer ce que l’on adorait ? Raconte. Cela m’intéresse.

HECTOR. : Tu sais, quand on a découvert qu’un ami est menteur ? De lui tout sonne faux, alors, même ses vérités? Cela semble étrange à dire, mais la guerre m’avait promis la bonté, la générosité, le mépris des bassesses. Je croyais lui devoir mon ardeur et mon goût à vivre, et toi-même? Et jusqu’à cette dernière campagne, pas un ennemi que je n’aie aimé?

ANDROMAQUE. : Tu viens de le dire : on ne tue bien que ce qu’on aime.

HECTOR. : Et tu ne peux savoir comme la gamme de la guerre était accordée pour me faire croire à sa noblesse. Le galop nocturne des chevaux, le bruit de vaisselle à la fois et de soie que fait le régiment d’hoplites se frottant contre votre tente, le cri du faucon au-dessus de la compagnie étendue et aux aguets, tout avait sonné jusque-là si juste, si merveilleusement juste?

ANDROMAQUE. : Et la guerre a sonné faux, cette fois ?

HECTOR. : Pour quelle raison ? Est-ce l’âge ? Est-ce simplement cette fatigue du métier dont parfois l’ébéniste sur son pied de table se trouve tout à coup saisi, qui un matin m’a accablé, au moment où penché sur un adversaire de mon âge, j’allais l’achever ? Auparavant ceux que j’allais tuer me semblaient le contraire de moi-même. Cette fois j’étais agenouillé sur un miroir. Cette mort que j’allais donner, c’était un petit suicide. Je ne sais ce que fait l’ébéniste dans ce cas, s’il jette sa varlope, son vernis, ou s’il continue? J’ai continué. Mais de cette minute, rien n’est demeuré de la résonance parfaite. La lance qui a glissé contre mon bouclier a soudain sonné faux, et le choc du tué contre la terre, et, quelques heures plus tard, l’écroulement des palais. Et la guerre d’ailleurs a vu que j’avais compris. Et elle ne se gênait plus? Les cris des mourants sonnaient faux? J’en suis là.

ANDROMAQUE. : Tout sonnait juste pour les autres.

HECTOR. : Les autres sont comme moi. L’armée que j’ai ramenée hait la guerre.

ANDROMAQUE. : C’est une armée à mauvaises oreilles.

HECTOR. : Non. Tu ne saurais t’imaginer combien soudain tout a sonné juste pour elle, voilà une heure, à la vue de Troie. Pas un régiment qui ne soit arrêté d’angoisse à ce concert. Au point que nous n’avons osé entrer durement par les portes, nous nous sommes répandus en groupe autour des murs? C’est la seule tâche digne d’une vraie armée : faire le siège paisible de sa patrie ouverte.

Texte D : Eugène IONESCO, Rhinocéros (1958), acte I


LA SERVEUSE. - Mais qu'est-ce que c'est ?, (Bérenger, toujours indolent, sans avoir l'air d'entendre quoi que ce soit, répond tranquillement à Jean au sujet de l'invitation, il remue les lèvres ; on n'entend pas ce qu'il dit ; Jean se lève d'un bond, fait tomber sa chaise en se levant, regarde du côté de la coulisse gauche, en montrant du doigt, tandis que Bérenger, toujours un peu vaseux, reste assis.)?
JEAN. - Oh, un rhinocéros ! (Les bruits produits par l'animal s'éloigneront à la même vitesse si bien que l'on peut déjà distinguer les paroles qui suivent ; toute cette scène doit être jouée très vite, répétant :) Oh ! un rhinocéros !?
LA SERVEUSE. - Oh ! un rhinocéros!?
L'ÉPICIÈRE, qui montre sa tête par la porte de son épicerie. - Oh ! Un rhinocéros ! (À son mari, resté dans la boutique.) Viens vite voir, un rhinocéros (Tous suivent du regard, à gauche, la course du fauve.)?
JEAN. - Il fonce droit devant lui, frôle les étalages !?
L'ÉPICIER, dans sa boutique. - Où ça ??
LA SERVEUSE, mettant les mains sur les hanches. - Oh!?
L'ÉPICIÈRE, à son mari qui est toujours dans sa boutique. - Viens voir!?(Juste à ce moment, l'Épicier montre sa tête.)
L'ÉPICIER, montrant sa tête. - Oh ! un rhinocéros !?
LE LOGICIEN, venant vite en scène par la gauche. - Un rhinocéros, à toute allure, sur le trottoir d'en face ! (Toutes ces répliques, à partir de : " Oh, un rhinocéros " dit par Jean sont presque simultanées. On entend un " ah " poussé par une femme. Elle apparaît. Elle court jusqu'au milieu du plateau ; c'est la Ménagère avec son panier au bras ; une fois arrivée au milieu du plateau, elle laisse tomber son panier ; ses provisions se répandent sur la scène, une bouteille se brise, mais elle ne lâche pas le chat tenu sous l'autre bras.)?
LA MÉNAGÈRE. - Ah ! Oh ! (Le Vieux Monsieur élégant venant de la gauche, à la suite de la Ménagère, se précipite dans la boutique des épiciers, les bouscule, entre, tandis que le Logicien ira se plaquer contre le mur du fond, à gauche de l'entrée de l'épicerie. Jean et la Serveuse debout, Bérenger assis, toujours apathique, forment un autre groupe. En même temps, on a pu entendre en provenance de la gauche des " oh l ", des " ah ! ", des pas de gens qui fuient. La poussière, soulevée par le fauve, se répand sur le plateau.)?
LE PATRON, sortant sa tête par la fenêtre à l'étage au-dessus du café. -Que se passe-t-il ??
LE VIEUX MONSIEUR, disparaissant derrière les épiciers. - Pardon !

 


Question sur Corpus :


Après avoir identifié les marques de genres théâtraux des quatre textes du corpus, vous étudierez ce que l’on raconte dans chacun d’eux ainsi que les procédés mis en oeuvre pour donner à voir les évènements relatés. 

Réponse :

Les genres et les époques représentés ici sont divers : les textes de Molière et Racine, du XVIIème, relèvent de la comédie classique en prose pour le premier et de la tragédie classique en vers pour le second ; les deux textes du XXème siècle pratiquent le mélange des genres. 

Les Fourberies de Scapin présentent des personnages moyens aux noms de maître (Octave) ou de valets (Scapin et Sylvestre) ; le ton et le sujet sont légers et comiques. En revanche, dans l’extrait de Phèdre, les noms des personnages renvoient à la mythologie grecque ; le style est noble, le ton est sérieux et grave. 
Les textes du XXème sont libérés des codes génériques qui régissent les deux extraits précédents ; celui de Giraudoux, qui s’inscrit dans un épisode emprunté à L’Iliade d’Homère, présente certaines caractéristiques de la tragédie (les personnages nobles, le sujet et le ton) associés à une mise en forme souple et moderne. Le texte de Ionesco s’apparenterait en revanche plutôt à la comédie par ses personnages simples, son ton léger et ses marques comiques, mais l’apparition d’un monstre furieux n’est pas sans rappeler la tragédie de Racine. 

Le premier extrait propose une tirade-récit, tandis que les textes de Racine et Giraudoux présentent un dialogue où les interlocuteurs se répondent dans des répliques et des tirades mesurées. Le dialogue du texte de Ionesco, constitué d’une succession de brèves répliques semées dans des didascalies prépondérantes, sert à marquer une réaction et non un échange. Les quatre textes montrent ainsi un événement qui se produit hors scène. Les extraits de Racine et de Ionesco relatent l’apparition d’un monstre, tandis que les textes de Molière et Giraudoux permettent à leur personnage de se définir à travers le récit : une rencontre amoureuse puis un mariage, une bataille d’Hector qui lui fait haïr la guerre. On peut observer une narration au passé dans les textes Molière, Racine et Giraudoux, ainsi qu’une invitation d’Andromaque : « Raconte » (texte de Giraudoux), ou une remarque de Sylvestre : « Si vous n’abrégez pas ce récit » ; le texte de Ionesco raconte l’événement en le faisant se jouer sous nos yeux : le rhinocéros reste dans la coulisse, la scène étant réservée à l’expression de la stupeur des nombreux personnages présents. 

Les moyens mis en oeuvre pour donner à voir l’événement relèvent du langage verbal pour les trois premiers extraits : précision du lexique et recours aux figures de rhétorique dont l’hypotypose (texte de Racine et Giraudoux) qui consiste à décrire ou raconter une scène d’une façon à la rendre vivante, présente, emploi du présent de narration (textes de Molière et Racine), recours au registre pathétique (texte de Molière), fantastique et tragique (texte de Racine). Le texte de Ionesco fait appel au jeu de scène, aux bruitages et au décor, le langage verbal étant réduit à un rôle secondaire. Ainsi, ce que l’on raconte passe soit par le texte, soit par le jeu qui met en oeuvre les artifices propres à l’illusion théâtrale.

 

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Voici le deuxième sujet mis en page: - proposé par Charlotte et Ludivine

 

 

Corpus:

 

 

 

TEXTE A: MARIVAUX, L’île des esclaves, scène VI, 1725

 

TEXTE B: Alfred de MUSSET, On ne badine pas avec l’amour, acte III, scène III, 1834

 

TEXTE C: Samuel BECKETT, Fin de partie, 1957

 

Question: Quels procédés littéraires et théâtraux font apparaître les amoureux comme ridicules dans les trois textes du corpus ?

   

TEXTE A: MARIVAUX, L’île des esclaves, scène VI, 1725

   

La pièce se déroule dans l’Antiquité grecque, sur une île utopique où, à la suite d’un naufrage, Iphicrate, un jeune homme, et Euphrosine, une jeune femme, sont contraints d’échanger leur statut social avec celui de leurs esclaves respectifs, Arlequin et Cléantis.

 

Profitant de leur nouvelle condition, ces derniers s’amusent à se conduire en maîtres.

  

ARLEQUIN, se promenant sur le théâtre avec Cléanthis : Remarquez-vous, Madame, la clarté du jour ?

 

CLEANTHIS : Il fait le plus beau temps du monde ; on appelle cela un jour tendre.

 

ARLEQUIN : Un jour tendre ? Je ressemble donc au jour, Madame.

 

CLEANTHIS : Comment ! Vous lui ressemblez ?

 

ARLEQUIN : Eh palsambleu ! le moyen de n'être pas tendre, quand on se trouve en tête à tête avec vos grâces ? (A ce mot, il saute de joie.) Oh ! oh ! oh! oh !

 

CLEANTHIS : Qu'avez-vous donc ? Vous défigurez notre conversation.

 

ARLEQUIN : Oh ! ce n'est rien : c'est que je m'applaudis.

 

CLEANTHIS : Rayez ces applaudissements, ils nous dérangent. (Continuant.) Je savais bien que mes grâces entreraient pour quelque chose ici, Monsieur, vous êtes galant ; vous vous promenez avec moi, vous me dites des douceurs ; mais finissons, en voilà assez, je vous dispense des compliments.

 

ARLEQUIN : Et moi je vous remercie de vos dispenses.

 

CLEANTHIS : Vous m'allez dire que vous m'aimez, je le vois bien ; dites, Monsieur, dites ; heureusement on n'en croira rien. Vous êtes aimable, mais coquet, et vous ne persuaderez pas.

 

ARLEQUIN, l'arrêtant par le bras, et se mettant à genoux : Faut-il m'agenouiller, Madame, pour vous convaincre de mes flammes, et de la sincérité de mes feux ?

 

CLEANTHIS : Mais ceci devient sérieux. Laissez-moi, je ne veux point d'affaires ; levez-vous. Quelle vivacité ! Faut-il vous dire qu'on vous aime ? Ne peut-on en être quitte à moins ? Cela est étrange.

 

ARLEQUIN, riant à genoux : Ah! ah ! ah ! que cela va bien ! Nous sommes aussi bouffons que nos patrons, mais nous sommes plus sages.

 

CLEANTHIS : Oh ! vous riez, vous gâtez tout.

 

ARLEQUIN : Ah ! ah ! par ma foi, vous êtes bien aimable et moi aussi. Savez-vous ce que je pense ?

 

CLEANTHIS : Quoi ?

 

ARLEQUIN : Premièrement, vous ne m'aimez pas, sinon par coquetterie, comme le grand monde.

 

CLEANTHIS : Pas encore, mais il ne s'en fallait plus que d'un mot, quand vous m'avez interrompue. Et vous, m'aimez-vous ?

 

ARLEQUIN : J'y allais aussi, quand il m'est venu une pensée.

 

 


 

TEXTE B: Alfred de MUSSET, On ne badine pas avec l’amour, acte III, scène III, 1834

   

Perdican et Camille reviennent, après des années de séparation, sur les lieux où ils ont grandi ensemble dans leur enfance, et où le Baron, père de Perdican et oncle de Camille, compte les marier. Mais la jeune fille, qui a été élevée au couvent, s’est forgée, d’après les récits des religieuses, une image extrêmement négative de l’amour et des hommes et refuse d’épouser son cousin, ainsi que d’admettre les sentiments qu’elle éprouve pour lui. Quand elle annonce son départ pour le couvent, Perdican lui tend un piège.

   

Camille, lisant

 

Perdican me demande de lui dire adieu, avant de partir, près de la petite fontaine où je l’ai fait venir hier. Que peut-il avoir à me dire ? Voilà justement la fontaine, et je suis toute portée. Dois-je accorder ce second rendez-vous ? Ah ! (Elle se cache derrière un arbre.) Voilà Perdican qui approche avec Rosette, ma sœur de lait. Je suppose qu’il va la quitter ; je suis bien aise de ne pas avoir l’air d’arriver la première.

 

Entrent Perdican et Rosette, qui s’assoient.

 

Camille, cachée, à part

 

Que veut dire cela ? Il la fait asseoir près de lui ? Me demande-t-il un rendez-vous pour y venir causer avec une autre ? je suis curieuse de savoir ce qu’il lui dit.

 

Perdican, à haute voix, de manière que Camille l’entende

 

Je t’aime, Rosette ! toi seule au monde tu n’as rien oublié de nos beaux jours passés ; toi seule tu te souviens de la vie qui n’est plus ; prends ta part de ma vie nouvelle ; donne-moi ton cœur, chère enfant ; voilà le gage de notre amour.

 

Il lui pose sa chaîne sur le cou.

 

Rosette

 

Vous me donnez votre chaîne d’or ?

 

Perdican

 

Regarde à présent cette bague. Lève-toi, et approchons-nous de cette fontaine. Nous vois-tu tous les deux, dans la source, appuyés l’un sur l’autre ? Vois-tu tes beaux yeux près des miens, ta main dans la mienne ? Regarde tout cela s’effacer. (Il jette sa bague dans l’eau.) Regarde comme notre image a disparu ; la voilà qui revient peu à peu ; l’eau qui s’était troublée reprend son équilibre ; elle tremble encore ; de grands cercles noirs courent à sa surface ; patience, nous reparaissons ; déjà je distingue de nouveau tes bras enlacés dans les miens ; encore une minute, et il n’y aura plus une ride sur ton joli visage ; regarde ! c’était une bague que m’avait donnée Camille.

 

Camille, à part

 

Il a jeté ma bague dans l’eau.

 

Perdican

 

Sais-tu ce que c’est que l’amour, Rosette ? Écoute ! le vent se tait ; la pluie du matin roule en perles sur les feuilles séchées que le soleil ranime. Par la lumière du ciel, par le soleil que voilà, je t’aime ! Tu veux bien de moi, n’est-ce pas ? On n’a pas flétri ta jeunesse ? on n’a pas infiltré dans ton sang vermeil les restes d’un sang affadi ? Tu ne veux pas te faire religieuse ; te voilà jeune et belle dans les bras d’un jeune homme. Ô Rosette, Rosette ! sais-tu ce que c’est que l’amour ?

 

Rosette

 

Hélas ! monsieur le docteur, je vous aimerai comme je pourrai.

 

Perdican

 

Oui, comme tu pourras ; et tu m’aimeras mieux, tout docteur que je suis et toute paysanne que tu es, que ces pâles statues fabriquées par les nonnes, qui ont la tête à la place du cœur, et qui sortent des cloîtres pour venir répandre dans la vie l’atmosphère humide de leurs cellules ; tu ne sais rien ; tu ne lirais pas dans un livre la prière que ta mère t’apprend, comme elle l’a apprise de sa mère ; tu ne comprends même pas le sens des paroles que tu répètes, quand tu t’agenouilles au pied de ton lit ; mais tu comprends bien que tu pries, et c’est tout ce qu’il faut à Dieu.

 

Rosette

 

Comme vous me parlez, monseigneur !

 

Perdican

 

Tu ne sais pas lire ; mais tu sais ce que disent ces bois et ces prairies, ces tièdes rivières, ces beaux champs couverts de moissons, toute cette nature splendide de jeunesse. Tu reconnais tous ces milliers de frères, et moi pour l’un d’entre eux ; lève-toi, tu seras ma femme, et nous prendrons racine ensemble dans la sève du monde tout-puissant.

 

Il sort avec Rosette.

   


   

TEXTE C: Samuel BECKETT, Fin de partie, 1957

   

Nell et Nagg, des vieillards culs-de-jatte qui vivent cloîtrés dans les poubelles, sont deux des quatre personnages de Fin de partie

 

Nell: Qu’es-ce que c’est, mon gros (Un temps.) C’est pour la bagatelle?

 

Nagg: Tu dormais?

 

Nell: Oh non !

 

Nagg: Embrasse.

 

Nell: On ne peut pas.

 

Nagg: Essayons.

 

Les têtes s’avancent péniblement l’une vers l’autre, n'arrivent pas à se toucher, s'écartent.

 

Nell: Pourquoi cette comédie, tous les jours?  

  

Un temps.

 

Nagg: J’ai perdu ma dent.

 

Nell: Quand cela ?

 

Nagg: Je l’avais hier.

 

Nell: (élégiaque): Ah hier !

 

Ils se tournent péniblement l’un vers l’autre.

  

Nagg: Tu me vois ?

 

Nell: Mal. Et toi ?

 

Nagg:Quoi ?

 

Nell: Tu me vois ?

 

Nagg: Mal.

 

Nell: Tant mieux, tant mieux.

 

Nagg: Ne dis pas ça. (Un temps.) Notre vue a baissé.

 

Nell: Oui.

 

Un temps. Ils se détournent l’un de l’autre.

 

Nagg : Tu m'entends?

 

Nell : Oui. Et toi ?

 

Nagg : Oui. (Un temps.) Notre ouïe n'a pas baissé.

 

Nell : Notre quoi ?

 

Nagg : Notre ouïe.

   

Question: Quels procédés littéraires et théâtraux font apparaître les amoureux comme ridicules dans les trois textes du corpus ?  

 

Réponse:

 

           Les trois textes du corpus mettent en scène des couples d’amoureux, mais ceux-ci sont rendus ridicules par divers procédés, tant littéraires que théâtraux.

  

            Tout d’abord, il y a dans ces trois scènes un décalage comique entre le(s) couple(s) présents sur scène et le couple d’amoureux traditionnel au théâtre : Arlequin et Cléantis veulent parler et agir comme des maîtres, mais leur condition ( et leur emploi théâtral) de valet et de servante reprend sans cesse le dessus; le couple Perdican - Camille est perturbé et relégué au second plan par l’introduction d’un nouveau couple Perdican - Rosette ; les deux amoureux de Beckett sont un couple de vieillards handicapés.

  

            La communication entre les amoureux est ainsi sans cesse brouillée. Dans la comédie de Marivaux, l’échange des deux esclaves au début de la scène n’est qu’une parodie du langage galant utilisé par les maîtres : ils se vouvoient, s’appellent “Madame” et “Monsieur”, mais Arlequin sort constamment de son rôle pour s’en amuser (lignes 7 et 23), et finalement, en dénoncer le caractère artificieux (“Vous ne m’aimez pas, sinon par coquetterie, comme le grand monde”). Chez Musset, les deux jeunes filles sont bernées par le stratagème de Perdican, qui ne parle à Rosette que pour s’adresser, en réalité, à Camille, comme le montre notamment la didascalie: “ Perdican, à haute voix de manière que Camille l’entende”. Dans Fin de partie, ce ne sont pas les faux-semblants mais la décrépitude physique des personnages qui nuit au dialogue: ils ne peuvent pas se toucher, se voient à peine et le duo amoureux se mue ici, littéralement, en dialogue de sourds.

  

            Le ridicule des situations et des personnages est également mis en valeur par différents dispositifs théâtraux, en particulier dans les textes B et C. Musset renouvelle la scène à témoin caché: croyant espionner son cousin, Camille est en réalité manipulée par lui. Dans la pièce de Beckett, les vieillards sortant les poubelles, animés d’un vif désir sexuel (“C’est pour la bagatelle?” “Embrasse”) mais trop impotents pour l’assouvir, sont indissociablement grotesques et émouvants. Chez Marivaux, c’est essentiellement la gestuelle d’Arlequin qui assure ce rôle, soulignant la dimension parodique de son marivaudage et le peu de conviction qu’il y met, puisqu’il finit par rire alors même qu’il est à genoux, dans la position type de l’amoureux transi.

 

            Les trois scène du corpus revisitent donc, chacune à sa manière, le couple d’amoureux, pilier du théâtre et en particulier la comédie. Ouvertement parodique chez Marivaux, complexe et retors jusqu’au ridicule chez Musset, à la fois grotesque et pathétique chez Beckett, il témoigne de l’évolution des genres théâtraux et de la progressive intrication des registres comique et tragique au fil des siècles.

 

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Voici le troisième sujet: - proposé par Grégoire et Camille Cl

Quelles attitudes de spectateur ces textes proposent-ils ? Vous répondrez de façon organisée et synthétique.

 

Texte 1 : MolièreLa Critique de L'École des femmes, scène V, 1663.

 

La Critique de L'École des femmes met en scène un débat entre des personnages adversaires et partisans de la pièce L'École des femmes, « quatre jours après » la première représentation. Quand Dorante entre en scène, la discussion est en cours. 

Dorante
Ne bougez, de grâce, et n'interrompez point votre discours. Vous êtes là sur une matière qui, depuis quatre jours, fait presque l'entretien de toutes les maisons de Paris, et jamais on n'a rien vu de si plaisant que la diversité des jugements qui se font là-dessus. Car enfin j'ai ouï condamner cette comédie à certaines gens, par les mêmes choses que j'ai vu d'autres estimer le plus.

Uranie
Voilà Monsieur le Marquis qui en dit force mal.

Le Marquis
Il est vrai, je la trouve détestable ; morbleu ! détestable du dernier détestable ; ce qu'on appelle détestable.

Dorante
Et moi, mon cher Marquis, je trouve le jugement détestable.

Le Marquis
Quoi ! Chevalier, est-ce que tu prétends soutenir cette pièce ?

Dorante
Oui, je prétends la soutenir.

Le Marquis
Parbleu ! je la garantis détestable.

Dorante
La caution n'est pas bourgeoise(1). Mais, Marquis, par quelle raison, de grâce, cette comédie est-elle ce que tu dis ?

Le Marquis
Pourquoi elle est détestable ?

Dorante
Oui.

Le Marquis
Elle est détestable, parce qu'elle est détestable.

Dorante
Après cela, il n'y a plus rien à dire : voilà son procès fait. Mais encore instruis-nous, et nous dis les défauts qui y sont.

Le Marquis
Que sais-je, moi ? Je ne me suis pas seulement donné la peine de l'écouter. Mais enfin je sais bien que je n'ai jamais rien vu de si méchant(2), Dieu me damne ; et Dorilas, contre qui(3) j'étais, a été de mon avis.

Dorante
L'autorité est belle, et te voilà bien appuyé.

Le Marquis
Il ne faut que voir les continuels éclats de rire que le parterre(4) y fait : je ne veux point d'autre chose pour témoigner qu'elle ne vaut rien.

Dorante
Tu es donc, Marquis, de ces Messieurs du bel air(5), qui ne veulent pas que le parterre ait du sens commun, et qui seraient fâchés d'avoir ri avec lui, fût-ce de la meilleure chose du monde ? Je vis l'autre jour sur le théâtre(6) un de nos amis, qui se rendit ridicule par là. Il écouta toute la pièce avec un sérieux le plus sombre du monde ; et tout ce qui égayait les autres ridait son front. À tous les éclats de rire, il haussait les épaules, et regardait le parterre en pitié ; et quelquefois aussi le regardant avec dépit, il lui disait tout haut : « Ris donc, parterre, ris donc ! » Ce fut une seconde comédie, que le chagrin(7) de notre ami. Il la donna en galant homme à toute l'assemblée(8), et chacun demeura d'accord qu'on ne pouvait pas mieux jouer qu'il fit. Apprends, Marquis, je te prie, et les autres aussi, que le bon sens n'a point de place déterminée à la comédie ; que la différence du demi-louis d'or et de la pièce de quinze sols(9) ne fait rien du tout au bon goût ; que, debout et assis, on peut donner un mauvais jugement ; et qu'enfin, à le prendre en général, je me fierais assez à l'approbation du parterre, par la raison qu'entre ceux qui le composent il y en a plusieurs qui sont capables de juger d'une pièce selon les règles, et que les autres en jugent par la bonne façon d'en juger, qui est de se laisser prendre aux choses, et de n'avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule.

Le Marquis
Te voilà donc, Chevalier, le défenseur du parterre ? Parbleu ! je m'en réjouis, et je ne manquerai pas de l'avertir que tu es de ses amis. Hai ! hai ! hai ! hai ! hai ! hai !

Dorante
Ris tant que tu voudras. Je suis pour le bon sens, et ne saurais souffrir les ébullitions de cerveau de nos marquis de Mascarille(10). J'enrage de voir de ces gens qui se traduisent en ridicules, malgré leur qualité ; de ces gens qui décident toujours et parlent hardiment de toutes choses, sans s'y connaître ; qui dans une comédie se récrieront aux méchants endroits, et ne branleront pas à ceux qui sont bons ; qui voyant un tableau, ou écoutant un concert de musique, blâment de même et louent tout à contre-sens, prennent par où ils peuvent les termes de l'art qu'ils attrapent, et ne manquent jamais de les estropier, et de les mettre hors de place. Eh, morbleu ! Messieurs, taisez-vous, quand Dieu ne vous a pas donné la connaissance d'une chose ; n'apprêtez point à rire à ceux qui vous entendent parler, et songez qu'en ne disant mot, on croira peut-être que vous êtes d'habiles gens.

 

Texte 2 : Edmond RostandCyrano de Bergerac, acte I, scène III, 1897.

 

Le premier acte est intitulé : « Une représentation à l'Hôtel de Bourgogne ». La didascalie initiale indique : « en 1640 ».

[…]

La Salle
Commencez !

Un Bourgeois (dont la perruque s'envole au bout d'une ficelle, pêchée par un page de la galerie supérieure.)
Ma perruque !

Cris de joie
Il est chauve !…
Bravo, les pages !… Ha ! ha ! ha !…

Le Bourgeois (furieux, montrant le poing.)
Petit gredin !

Rires et cris (qui commencent très fort et vont décroissant. )
Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha!
Silence complet

Le Bret (étonné.)
Ce silence soudain ?…
Un spectateur lui parle bas.
Ah ?…

Le spectateur
La chose me vient d'être certifiée.

Murmures (qui courent.)
Chut ! Il paraît ?… Non ! Si ! Dans la loge grillée.
Le Cardinal ! Le Cardinal ? Le Cardinal(11) !

Un page
Ah ! Diable, on ne va pas pouvoir se tenir mal !…
On frappe sur la scène. Tout le monde s'immobilise. Attente. 

La vois d'un Marquis (dans le silence, derrière le rideau(12).)
Mouchez cette chandelle(13) !

Un autre Marquis (passant la tête par la fente du rideau.)
Une chaise !
Une chaise est passée, de main en main, au-dessus des têtes. Le marquis la prend et disparaît, non sans avoir envoyé quelques baisers aux loges.

Un spectateur
Silence !
On refrappe les trois coups. Le rideau s'ouvre. Tableau. Les marquis assis sur les côtés, dans des poses insolentes. Toile de fond représentant un décor bleuâtre de pastorale. Quatre petits lustres de cristal éclairent la scène. Les violons jouent doucement.

Le Bret (à Ragueneau, bas.)
Montfleury(14) entre en scène ?

Ragueneau (bas aussi.)
Oui, c'est lui qui commence.

Le Bret
Cyrano n'est pas là.

Ragueneau
J'ai perdu mon pari(15).

Le Bret
Tant mieux ! tant mieux !
On entend un air de musette, et Montfleury paraît en scène, énorme, dans un costume de berger de pastorale, un chapeau garni de roses penché sur l'oreille, et soufflant dans une cornemuse enrubannée.

Le parterre (applaudissant.)
Bravo, Montfleury ! Montfleury !

 

Texte 3 : Paul ClaudelLe Soulier de satin, Première journée, scène I, 1929.

 

PREMIÈRE JOURNÉE
[…]
Coup bref de trompette.
La scène de ce drame est le monde, et plus spécialement l'Espagne à la fin duxvie, à moins que ce soit le commencement du xviie siècle. L'auteur s'est permis de comprimer les pays et les époques, de même qu'à la distance voulue plusieurs lignes de montagnes séparées ne sont qu'un seul horizon.
Encore un petit coup de trompette. Coup prolongé de sifflet comme pour la manœuvre d'un bateau.
Le rideau se lève.
SCÈNE PREMIÈRE
L'Annoncier(16), le Père Jésuite.

L'annoncier
Fixons, je vous prie, mes frères, les yeux sur ce point de l'Océan Atlantique qui est à quelques degrés au-dessous de la Ligne(17) à égale distance de l'Ancien et du Nouveau Continent. On a parfaitement bien représenté ici l'épave d'un navire démâté qui flotte au gré des courants. Toutes les grandes constellations de l'un et de l'autre hémisphères, la Grande Ourse, la Petite Ourse, Cassiopée, Orion, la Croix du Sud, sont suspendues en bon ordre comme d'énormes girandoles(18) et comme de gigantesques panoplies(19) autour du ciel. Je pourrais les toucher avec ma canne. Autour du ciel. Et ici-bas un peintre qui voudrait représenter l'œuvre des pirates – des Anglais probablement – sur ce pauvre bâtiment espagnol, aurait précisément l'idée de ce mât, avec ses vergues et ses agrès(20) tombé tout au travers du pont, de ces canons culbutés, de ces écoutilles(21) ouvertes, de ces grandes taches de sang et de ces cadavres partout, spécialement de ce groupe de religieuses écroulées l'une sur l'autre. Au tronçon du grand mât est attaché un Père Jésuite, comme vous voyez, extrêmement grand et maigre. La soutane déchirée laisse voir l'épaule nue. Le voici qui parle comme il suit : « Seigneur, je vous remercie de m'avoir ainsi attaché… » Mais c'est lui qui va parler. Écoutez bien, ne toussez pas et essayez de comprendre un peu. C'est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c'est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c'est ce que vous ne trouverez pas amusant qui est le plus drôle.
Sort l'Annoncier.

 

Textes 4 : Jean Anouilh, Antigone, Prologue, 1944.

 

Un décor neutre. Trois portes semblables. Au lever du rideau, tous les personnages sont en scène. Ils bavardent, tricotent, jouent aux cartes. Le Prologue se détache et s'avance.

Le prologue(22)

Voilà. Ces personnages vont vous jouer l'histoire d'Antigone. Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. Elle pense qu'elle va être Antigone tout à l'heure, qu'elle va surgir soudain de la maigre jeune fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans la famille et se dresser seule en face du monde, seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi. Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout… Et, depuis que ce rideau s'est levé, elle sent qu'elle s'éloigne à une vitesse vertigineuse de sa sœur Ismène, qui bavarde et rit avec un jeune homme, de nous tous, qui sommes là bien tranquilles à la regarder, de nous qui n'avons pas à mourir ce soir. Le jeune homme avec qui parle la blonde, la belle, l'heureuse Ismène, c'est Hémon, le fils de Créon. Il est le fiancé d'Antigone. Tout le portait vers Ismène : son goût de la danse et des jeux, son goût du bonheur et de la réussite, sa sensualité aussi, car Ismène est bien plus belle qu'Antigone, et puis un soir, un soir de bal où il n'avait dansé qu'avec Ismène, un soir où Ismène avait été éblouissante dans sa nouvelle robe, il a été trouver Antigone qui rêvait dans un coin, comme en ce moment, ses bras entourant ses genoux, et il lui a demandé d'être sa femme. Personne n'a jamais compris pourquoi. Antigone a levé sans étonnement ses yeux graves sur lui et elle lui a dit « oui » avec un petit sourire triste… L'orchestre attaquait une nouvelle danse, Ismène riait aux éclats, là-bas, au milieu des autres garçons, et voilà, maintenant, lui, il allait être le mari d'Antigone. Il ne savait pas qu'il ne devait jamais exister de mari d'Antigone sur cette terre et que ce titre princier lui donnait seulement le droit de mourir. Cet homme robuste, aux cheveux blancs, qui médite là, près de son page, c'est Créon. C'est le roi. Il a des rides. Il est fatigué. Il joue au jeu difficile de conduire les hommes. Avant, du temps d'Œdipe, quand il n'était que le premier personnage de la cour, il aimait la musique, les belles reliures, les longues flâneries chez les petits antiquaires de Thèbes. Mais Œdipe et ses fils sont morts. Il a laissé ses livres, ses objets, il a retroussé ses manches et il a pris leur place.

 

 

Question posée :

 

 

Quelles attitudes de spectateur ces textes proposent-ils ? Vous répondrez de façon organisée et synthétique.

 

Réponse à la question de corpus :

 

Les quatre textes du corpus, l'extrait de La Critique de L'École des femmes de Molière, de Cyrano de Bergerac de Rostand, du Soulier de satin de Claudel et d'Antigone d'Anouilh, qu'ils mettent en scène des spectateurs ou s'adressent directement à lui, offrent tous une réflexion sur le spectateur et sur ses différentes attitudes. En effet, les deux premiers textes jouent tous deux sur un effet de théâtre dans le théâtre : Molière présente des personnages qui viennent de voir une représentation de L'École des femmes alors que Rostand met en scène des personnages en train d'assister à une représentation à l'Hôtel de Bourgogne dans laquelle joue le célèbre acteur Montfleury. Les deux derniers, par l'intermédiaire de l'Annoncier ou du Prologue, interpellent le spectateur lors de l'exposition de la pièce. On peut ainsi distinguer plusieurs postures de spectateurs.

 

Certains spectateurs se laissent aller au plaisir de la représentation, aux émotions que celle-ci suscite, et adhèrent spontanément au spectacle qui leur est offert. Il s'agit là selon Dorante dans la comédie de Molière d'une réaction de « bon sens » qui consiste à « se laisser prendre aux choses » et « n'avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule ». C'est, dit-il, l'attitude du parterre qui a vu L'École des femmes, mais c'est aussi l'attitude du parterre dans la pièce de Rostand qui, par exemple, réclame le spectacle puis acclame avec enthousiasme Montfleury à son arrivée sur scène.


À l'inverse, certains spectateurs restent totalement à distance du spectacle théâtral et ont une attitude très critique. C'est le cas ainsi du Marquis de la Critique qui a simplement trouvé la pièce « détestable » et ne s'est pas « donné la peine de l'écouter » ou de son ami qui, avec mépris et cuistrerie, a gardé un « sérieux le plus sombre du monde ». De même, les marquis assis sur scène dans la représentation de Cyrano continuent de parler après les trois coups, en réclamant par exemple une chaise, et gardent « des poses insolentes » à l'ouverture des rideaux. Dans les deux pièces, les spectateurs ont une posture bien peu respectueuse par rapport à la pièce et ne semblent pas s'y intéresser.
Les textes proposent encore un autre type d'attitude possible. Les extraits du Soulier de satin et d'Antigone sollicitent la réflexion du spectateur, ils exposent la situation et présentent les personnages : le Père Jésuite dans le premier cas, Antigone, Ismène, Hémon et Créon dans le second. Le spectateur est directement impliqué, l'Annoncier l'interpelle par l'impératif et l'apostrophe dès sa première phrase : « Fixons, je vous prie, mes frères, les yeux sur ce point de l'Océan Atlantique ». De même, le Prologue déclare d'emblée : « Voilà. Ces personnages vont vous jouer l'histoire d'Antigone. » Dans les deux cas, le spectateur est incité à comprendre le spectacle, comme le demande explicitement et de façon très didactique l'Annoncier : « Écoutez bien, ne toussez pas et essayez de comprendre un peu », son intelligence est sollicitée : « c'est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau ». Cependant, ces déclarations elles-mêmes des deux personnages instaurent une certaine distance par rapport au spectacle qui est présenté en tant que tel : l'Annoncier désigne le décor, le Prologue rappelle que le rideau s'est levé et que nous « sommes là bien tranquilles à […] regarder » Antigone.

 

Enfin, certains spectateurs semblent vouloir se donner eux-mêmes en spectacle et venir au théâtre pour être vus et intervenir – d'ailleurs, la configuration de la salle de théâtre au xviie siècle se prête particulièrement à cela, puisque les membres de l'aristocratie peuvent prendre place sur scène. Ainsi, dans le drame de Rostand, les marquis qui se tiennent sur scène pour mieux voir la pièce se donnent en spectacle, ils adoptent des « poses » et l'un d'eux, en prenant sa chaise, envoie ostensiblement « quelques baisers aux loges ». De même, l'ami commun de Dorante et du Marquis occupe lui aussi un siège sur scène et offre à la salle « une seconde comédie » en affichant son ennui et son mépris, en déclarant tout haut pendant la représentation : « Ris donc, parterre, ris donc ! » Le spectacle peut être tout autant dans la salle que sur la scène. Dans Cyrano, les pages chahutent en volant la perruque d'un bourgeois et l'un d'eux, en apprenant la présence du Cardinal, déclare « diable, on ne va pas pouvoir se tenir mal ! ». Dans cette pièce, l'ambiance de la salle s'avère particulièrement agitée.

 

Ainsi, ces textes questionnent le rapport du spectateur à la représentation, et notamment son degré d'implication dans le spectacle. Ils suggèrent aux spectateurs différentes attitudes possibles, de la plus spontanée à la plus distanciée, de la plus attentive et réfléchie à la plus turbulente.

 

 



07/01/2014
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