Groupes de travail 4: LA DISSERTATION
Les binômes qui proposent une correction sont: Camille et Grégoire; Inès et Mélodie
SUJET: OE Théâtre et représentation du XVIIème siècle à nos jours
CORPUS (liens vers les textes, ou textes recopiés si vous n'avez pas de liens):
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Exercices:
- Dissertation: question?
Proposition de correction:
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- Commentaire du binôme sur ce qu'il faut retenir au niveau du contenu.
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Premier sujet- proposé par Inès et Mélodie
Sujet: La rencontre amoureuse
Objet d’étude: le théâtre
Question: Peut-on réduire le théâtre a un échange de paroles ?
TEXTE A: Molière, l'école des femmes, acte II, scène 5 (extrait), 1662
AGNES
Elle est fort étonnante, et difficile à croire.
J'étais sur le balcon à travailler au frais,
Lorsque je vis passer sous les arbres d'auprès
Un jeune homme bien fait, qui, rencontrant ma vue,
D'une humble révérence aussitôt me salue:
Moi, pour ne point manquer à la civilité,
Je fis la révérence aussi de mon côté.
Soudain il me refait une autre révérence;
Moi, j'en refais de même une autre en diligence;
Et lui d'une troisième aussitôt repartant,
D'une troisième aussi j'y repars à l'instant.
Il passe, vient, repasse, et toujours de plus belle
Me fait à chaque fois révérence nouvelle;
Et moi, qui tous ces tours fixement regardais,
Nouvelle révérence aussi je lui rendais:
Tant que, si sur ce point la nuit ne fût venue,
Toujours comme cela je me serais tenue,
Ne voulant point céder, ni recevoir l'ennui
Qu'il me pût estimer moins civile que lui.
ARNOLPHE
Fort bien.
AGNES
Le lendemain, étant sur notre porte,
Une vieille m'aborde, en parlant de la sorte:
"Mon enfant, le bon Dieu puisse-t-il vous bénir,
Et dans tous vos attraits longtemps vous maintenir!
Il ne vous a pas fait une belle personne,
Afin de mal user des choses qu'il vous donne;
Et vous devez savoir que vous avez blessé
Un coeur qui de s'en plaindre est aujourd'hui forcé."
ARNOLPHE, à part.
Ah! suppôt de Satan! exécrable damnée!
AGNES
Moi, j'ai blessé quelqu'un? fis-je tout étonnée.
"Oui, dit-elle, blessé, mais blessé tout de bon;
Et c'est l'homme qu'hier vous vîtes du balcon."
Hélas! qui pourrait, dis-je, en avoir été cause?
Sur lui, sans y penser, fis-je choir quelque chose?
"Non, dit-elle; vos yeux ont fait ce coup fatal,
Et c'est de leurs regards qu'est venu tout son mal."
Eh, mon Dieu! ma surprise est, fis-je, sans seconde;
Mes yeux ont-ils du mal, pour en donner au monde?
"Oui, fit-elle, vos yeux, pour causer le trépas,
Ma fille, ont un venin que vous ne savez pas,
En un mot, il languit, le pauvre misérable;
Et s'il faut, poursuivit la vieille charitable,
Que votre cruauté lui refuse un secours,
C'est un homme à porter en terre dans deux jours."
Mon Dieu! j'en aurais, dis-je, une douleur bien grande.
Mais pour le secourir qu'est-ce qu'il me demande?
"Mon enfant, me dit-elle, il ne veut obtenir
Que le bien de vous voir et vous entretenir;
Vos yeux peuvent eux seuls empêcher sa ruine,
Et du mal qu'ils ont fait être la médecine."
Hélas ! volontiers, dis-je; et, puisqu'il est ainsi,
Il peut, tant qu'il voudra, me venir voir ici.
TEXTE B: Marivaux, la Dispute, scène 4, (extrait), 1744
Eglé un instant seule, Azor parait vis-à-vis d'elle.
EGLÉ, continuant et se tâtant le visage.
Je ne me lasse point de moi.
Et puis, apercevant Azor, avec frayeur.
Qu'est-ce que c'est que cela, une personne comme moi ?... N'approchez point.
Azor étendant les bras d'admiration et souriant. Eglé continue.
La personne rit, on dirait qu'elle m'admire.
Azor fait un pas.
Attendez... Ses regards sont pourtant bien doux... Savez-vous parler ?
AZOR.
Le plaisir de vous voir m'a d'abord ôté la parole.
EGLÉ, gaiement.
La personne m'entend, me répond, et si agréablement !
AZOR.
Vous me ravissez.
EGLÉ.
Tant mieux.
AZOR.
Vous m'enchantez.
EGLÉ.
Vous me plaisez aussi.
AZOR.
Pourquoi donc me défendez-vous d'avancer ?
EGLÉ.
Je ne vous le défends plus de bon coeur.
AZOR.
Je vais donc approcher.
EGLÉ.
J'en ai bien envie.
Il avance.
Arrêtez un peu... Que je suis émue !.
AZOR.
J'obéis, car je suis à vous.
EGLÉ.
Elle obéit ; venez donc tout à fait, afin d'être à moi de plus près.
Il vient.
Ah ! La voilà, c'est vous, qu'elle est bien faite ! En vérité, vous êtes aussi belle que moi.
AZOR.
Je meurs de joie d'être auprès de vous, je me donne à vous, je ne sais pas ce que je sens, je ne saurais le dire.
EGLÉ.
Eh ! c'est tout comme moi.
AZOR.
Je suis heureux, je suis agité.
EGLÉ.
Je soupire.
AZOR.
J'ai beau être auprès de vous, je ne vous vois pas encore assez.
EGLÉ.
C'est ma pensée, mais on ne peut pas se voir davantage, car nous sommes là.
AZOR.
Mon coeur désire vos mains.
EGLÉ.
Tenez, le mien vous les donne ; êtes-vous plus contente ?
AZOR.
Oui, mais non pas plus tranquille
EGLÉ.
C'est ce qui m'arrive, nous nous ressemblons en tout.
AZOR.
Oh ! Quelle différence ! Tout ce que je suis ne vaut pas vos yeux, ils sont si tendres !
EGLÉ.
Les vôtres si vifs !
AZOR.
Vous êtes si mignonne, si délicate !
TEXTE C: Jean Giraudoux, Ondine, acte I, scène 3 (extrait) 1939
Le Chevalier, August, Eugénie, Ondine.
Ondine de la porte, où elle est restée immobile
Ondine : Comme vous êtes beau !
Auguste : que dis-tu petite effrontée ?
Ondine : Je dis : comme il est beau !
Auguste : C'est notre fille, seigneur. Elle n'a pas d'usage.
Ondine : Je dis que je suis bien heureuse de savoir que les hommes sont
aussi beaux... Mon cœur n'en bat plus...
Auguste : vas-tu te taire ?
Ondine : J'en frissonne.
Auguste : Elle a quinze ans chevalier, excusez-la....
Ondine : Je savais bien qu'il devait y avoir une raison pour être fille.
Auguste : Tu ennuies notre hôte...
Ondine : je ne l'ennuie pas du tout... Je lui plais... Vois comme il me
regarde... Comment t'appelles-tu ?
Auguste : On ne tutoie pas un seigneur, pauvre enfant !
Ondine,
qui s'est approchée
: Qu'il est beau ! Regardez cette oreille père.
C'est un coquillage ! Tu penses que je vais lui dire vous, à cette oreille ?... A
qui appartiens-tu, petite oreille ? Comment s'appelle-t-il ?
Le chevalier : Il s'appelle Hans.
Ondine : J'aurais dû m'en douter. Quand on est heureux et qu'on ouvre la
bouche, on dit Hans....
Le chevalier : Hans von Wittenstein...
Ondine : Quand il y a de la rosée, le matin, et qu'on est oppressé, et qu'une
buée sort de vous, malgré soi, on dit Hans....
Le chevalier : Von Wittenstein zu Wittenstein....
Ondine : Quel joli nom ! Que c'est joli, l'écho dans un nom !... pourquoi es-tu
ici ? Pour me prendre ?
Auguste : c'en est assez ! Va dans ta chambre !
Ondine : prends-moi ! Emporte-moi !
Eugénie,
revient avec son plat
: Voici votre truite au bleu, seigneur. Mangez-
la. Cela vous vaudra mieux que d'écouter notre folle....
Ondine : Sa truite au bleu !
Le chevalier : elle est magnifique.
Ondine : Tu a osé faire une truite au bleu, mère !
Eugénie : Tais-toi. En tout cas, elle est cuite !
Ondine : O ma truite chérie, toi qui depuis ta naissance nageais vers l'eau
froide !
Auguste : Tu ne vas pas pleurer pour une truite !
Ondine : Il se disent mes parents.... Et ils t’ont prise... Et ils t'ont jetée vive
dans l'eau qui bout !
Le chevalier : C'est moi qui l'ai demandée petite fille...
Ondine : vous ? J'aurais dû m'en douter... A vous regarder de près tout se
devine... Vous êtes une bête n'est-ce pas ?
Eugénie : Excusez-nous seigneur !
Ondine : Vous ne comprenez rien à rien, n'est-ce pas ? C'est cela la
chevalerie, c'est cela le courage... vous cherchez des géants qui n'existent
point, et si un petit être vivant saute dans l'eau claire, vous le faites cuire au
bleu.
Le chevalier : Et je le mange mon enfant, et je le trouve succulent !
Ondine : Vous allez voir comme il est succulent...
(elle jette la truite par la
fenêtre)
... mangez-le maintenant...Adieu...
Question: Peut-on réduire le théâtre a un échange de paroles ?
INTRODUCTION:
"Je ne fais pas de littérature. Je fais une chose tout à fait différente; Je fais du théâtre", dit Ionesco dans Notes et contre notes. On sent là son mépris pour une valeur pourtant reconnue: le texte. Dans le Théâtre et son double, Antonin Artaud déplore que le théâtre soit "un théâtre de la parole »
Le théâtre n'est-il qu'un échange de paroles ?
Certes, le texte occupe une place prépondérante au théâtre. Mais le spectacle théâtral recourt à bien d'autre moyens d'expression qui mettent la parole en valeur et forment avec elle un tout indissociable.
I- LE THÉÂTRE EST PAROLE.
1. Un genre à "histoires" qui se lit et s'analyse
On attend du théâtre qu'il mette en représentation une "histoire", qui puise ses sources le plus souvent dans le fonds culturels ou dans la vie quotidienne. Pour remplir cette fonction, le théâtre a besoins de paroles. Exemple: le Site de Corneille (héros espagnol qui a vraiment existé); le fil a la patte de Feydeau (historiette comique tirées du monde bourgeois).
Dans la pratique, le théâtre est souvent réduit au seul texte et est seulement lu a la manière d'un roman: on suit le parcours des personnages, à la destiné desquels on s'attache. Musset publie un spectacle dans un fauteuil, pièces écrites pour la lecture seule et adressées, selon leur auteurs, à l’imagination est au rêve. Dans les classes, " étudier" Phèdre, c'est encore en partie analyser la "parole" des personnages, l'expression des sentiments, la beauté des vers...
2. Le théâtre remplit les fonctions assignées à la parole.
Théâtre et poésie: la parole esthétisée. Au théâtre, la forme est parfois aussi travaillée que la poésie. Autrefois, le travail de la diction primait sur le jeu. La tragédie en alexandrins exige un travail artistique dont la matière et le mot esthétisé (poésie, plainte de la Bérénice de Racine; lyrisme des litanies, "dites et jouées comme un rituel" Dans le roi se meurt de Ionesco).
La parole est révélatrice d'un personnage et créatrice d'émotion. Dans la vie, il est rare que l'on parle tout seul. Au théâtre, il arrive fréquemment que les personnages dévoilent émotion et pensées dans des monologues, ou encore à un valet (comédie) ou a un confident (tragédie). Rodrigue dans ses Stances s’adresse à son "âme"; Dom Juan se confie à Sganarelle.
Au-delà, le théâtre devient une tribune où se dit un discours social, politique ou morale. Les personnages sont les porte-parole de leur créateur. La parole prend parfois l'allure de maximes, de réflexion morale et existentielle ("qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naitre" la Mariage de Figaro, acte V, scène 3; La jardinier de Giraudoux prêche "joie et amour" et Électre; la "leçon" de politique de Créon dans Antigone).
3. Un jeu sur la parole.
Parole et silence. La première forme de ce jeu réside dans les rapports entre la parole et le silence: le spectateur ne peut participer à l'échange de paroles sur scène. La deuxième formes de ce jeu consiste dans l'utilisation à l'intérieur même des répliques, du silence pour mettre en valeur l'absence de parole et en creux, la parole elle-même (monologue de Winnie ponctué de silences signalées par la didascalie " Un temps", Beckett, Oh les beaux jours).
La parole vidée de son sens: parler pour parler. Ailleurs, omniprésente, la parole devient un logorrhée sans logique. Derrière se vide se cache un message implicite: Les hommes sont impuissants a communiquer vraiment. C'est alors la parole qui consacre sa propre vanité (Vladimir et Estragon se cessent de parler pour ne rien dire dans En attendant Godot de Beckett).
La parole à la place de l'action. Parfois, au contraire, la parole se substitue a l'action, qui n'est pas représentée: ce sont les récits, fréquents dans la tragédie classique soumise à la règle de la bienséance: la parole recrée le passé (récit de la mort d'Hippolyte dans Phèdre; récit de la victoire sur les Maures dans Le Cid).
La parole comme lien avec le public. Dans certaines situations, la parole instaure un lien avec les spectateurs: c'est le cas du monologue ou de l'aparté, qui s'adressent au public et le font pour ainsi dire "exister" (monologue d'Hapargon dans l'Avare: "N'y a-t-il personne qui veuille me ressusciter en me rendant mon cher argent?" IV, 7.
4. Cas de figures plus complexes
La parole dans la parole. Il arrive que la parole théâtrale soit elle-même mise en scène: c'est le "théâtre dans le théâtre", qui complique le réseau des répliques et exige toute l'attention du spectateur. Au début de Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand, Cyrano assiste à une représentation de la Clorise par le comédien Monfleury.
La parole sur la parole. Plus étrangement, le théâtre offre des cas insolites d'un personnage sortit de la pièce, placé sur l'avant-scène: sa parole n'appartient plus vraiment à la place, mais elle n'est pas non plus parole du public. C'est en quelque sorte la parole sur parole. Le Prologue dans Antigone d'Anouilh commente la tragédie qui va se jouer ("Ces personnages vont vous jouer l'histoire d'Antigone..."); le Mendiant dans l'Electre de Giraudoux "raconte" le dénouement de la pièce.
La prépondérance de la parole au théâtre est évidente, soulignée parfois par des mises en scène minimalistes (scène vierge de tout décor).
II. MAIS LE THÉÂTRE N'EST PAS QU'UN ÉCHANGE DE PAROLES
1. Les avatars de la parole et la spécificité du texte théâtral
Il existe un théâtre où les répliques ne préexistent pas à la représentation ou qui réduit la parole au minimum: la parole est alors à inventer. Dans la commedia dell' arte, un canevas sert de schéma à la pièce qui se construit lors du spectacle constitué de plaisanteries (lazzi) et de jeu de scène bouffons (chutes, soufflées); dans les matchs d'improvisation théâtrale: la parole inexistante naît sur le champ, improvisée.
La parole déguisée. Certaines pièces de théâtre ne comportent pas de réels échanges de paroles. Le contexte, l'intonation, l'expression du visage ou les mouvements mettent alors le spectateur sur la voie du sens. Jean Tardieu, dans Un mot pour un autre, part de phrases stéréotypées et remplace un mot par un autre mot proche par les sonorités ("Fiel !... Ma pitance !" = "Ciel ! Mon mari !").
Un théâtre sans parole ? Il existe enfin un théâtre sans parole: le mime Marceau met en scène l'histoire de David et Goliath sans prononcer un seul mot, grâce a l'expressivité de ses gestes et de ses mimiques.
La spécificité de l'écriture théâtrale: les didascalies. Ionesco écrit: "mon texte n'est pas seulement un dialogue, mais il est aussi " indications scéniques". ces indications scéniques sont a respecter aussi bien que le texte, elles sont nécessaire." Elles ne se traduisent pas par de la parole mais par de décors, des gestes...Elles sont de plus en plus abondante dans les pièces de Ionesco ou de Beckett.
2. les moyens d'expression autres que la parole
Le travail d'interprétation. Le travail est plus que de la parole ou de la littérature, il se vit, il se voit. Ainsi, une fois les parole écrits, l'auteur est dépossédé de sa pièce: C'est au metteur en scène a compléter la création. L'importance du travail du metteur en scène et des acteurs est telle qu'ils peuvent transformer totalement une pièce par tout un faisceau d'autres moyens d'expression.
Le corps au service de la parole ou substitut de la parole. Certaines pièces ne peuvent se passer du jeu du corps. Que vaux la scène (Molière, les Fourberie de Scapin, III, 2) où Scapin enferme Argante dans son sac et joue à lui tout seul "une demi-douzaine de spadassins" sans les prouesses physiques et vocales de l’acteur qui doit se démultiplier ? Le corps prend là le relais de la parole.
Un théâtre à voir: les décors participent a la première impression visuelle et contribuent à la qualité esthétique du spectacle. Le costume révèle d'emblée les caractéristiques des personnages ou leur rang social: dans l'Antiquité, le costume blanc signalait un vieillard, le jaune une courtisane, le pourpre un riche, le rouge un pauvre... Dans le Dom Juan de Mesguich, le Pauvre presque nu, porte juste quelques feuilles d'arbre sur lui, qui figurent son dénuement. Le changement de costume est parfois un élément de l'intrigue : que serait Ruy Blas sans le jeu du manteau de Premier ministre et la livrée qui crée le coup de théâtre?
Une parole théâtralisée: Les lumières portent aussi leur part de sens. L'évolution des techniques de mise en scène offre des possibilités telles que le texte paraît tenir de moins en moins de place. La nuit, à la fin du Mariage de Figaro, crée l'atmosphère et permet le stratagème du rendez-vous trompeur qui confond le Comte.
Une parole orchestrée: les sons viennent aussi soutenir la parole: dans Rhinocéros de Ionesco, seules les galopades que l'on entend dans les coulisses rendent compte de la progression de l'invasion des rhinocéros.
CONCLUSION:
Antonin Artaud attire l'attention sur le danger d'un théâtre qui oublierait le rôle de la représentation. C'est en effet dans l'alliance de celle-ci et de la parole que réside la spécificité du théâtre. Une pièce de théâtre n'a pas un seul créateur - l'auteur - mais plusieurs. "Création multiple, résulte de la volonté d'un dramaturge, des efforts de style d'un metteur en scène, du jeu des comédiens [...] et de la complicité d'un public" (Jean Duvignaud, spectacle et société).
Commentaire du binôme
Dans une dissertation, nous avons retenus l'emploi d'une thèse et d'une anti-thèse. Une dissertation nécessite une grande connaissance et culture littéraire et nous trouvons que l'exercice est assez qualificatif et n'est peut-être pas ouvert au plus grand nombre, cependant nous apprécions l'idée de confronter deux idées opposées et d'argumenter de manière logique.
Grâce à cette dissertation nous avons pu comprendre que le théâtre n'était pas seulement un échange de paroles mais bien plus, grâce à vos cours également, nous pouvons retenir que la mise en scène est extrêmement importante.
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Deuxième sujet: - proposé par Camille Cl et Grégoire
Texte 1 : Molière, La Critique de L'École des femmes, scène V, 1663.
La Critique de L'École des femmes met en scène un débat entre des personnages adversaires et partisans de la pièce L'École des femmes, « quatre jours après » la première représentation. Quand Dorante entre en scène, la discussion est en cours.
Dorante
Ne bougez, de grâce, et n'interrompez point votre discours. Vous êtes là sur une matière qui, depuis quatre jours, fait presque l'entretien de toutes les maisons de Paris, et jamais on n'a rien vu de si plaisant que la diversité des jugements qui se font là-dessus. Car enfin j'ai ouï condamner cette comédie à certaines gens, par les mêmes choses que j'ai vu d'autres estimer le plus.
Uranie
Voilà Monsieur le Marquis qui en dit force mal.
Le Marquis
Il est vrai, je la trouve détestable ; morbleu ! détestable du dernier détestable ; ce qu'on appelle détestable.
Dorante
Et moi, mon cher Marquis, je trouve le jugement détestable.
Le Marquis
Quoi ! Chevalier, est-ce que tu prétends soutenir cette pièce ?
Dorante
Oui, je prétends la soutenir.
Le Marquis
Parbleu ! je la garantis détestable.
Dorante
La caution n'est pas bourgeoise(1). Mais, Marquis, par quelle raison, de grâce, cette comédie est-elle ce que tu dis ?
Le Marquis
Pourquoi elle est détestable ?
Dorante
Oui.
Le Marquis
Elle est détestable, parce qu'elle est détestable.
Dorante
Après cela, il n'y a plus rien à dire : voilà son procès fait. Mais encore instruis-nous, et nous dis les défauts qui y sont.
Le Marquis
Que sais-je, moi ? Je ne me suis pas seulement donné la peine de l'écouter. Mais enfin je sais bien que je n'ai jamais rien vu de si méchant(2), Dieu me damne ; et Dorilas, contre qui(3) j'étais, a été de mon avis.
Dorante
L'autorité est belle, et te voilà bien appuyé.
Le Marquis
Il ne faut que voir les continuels éclats de rire que le parterre(4) y fait : je ne veux point d'autre chose pour témoigner qu'elle ne vaut rien.
Dorante
Tu es donc, Marquis, de ces Messieurs du bel air(5), qui ne veulent pas que le parterre ait du sens commun, et qui seraient fâchés d'avoir ri avec lui, fût-ce de la meilleure chose du monde ? Je vis l'autre jour sur le théâtre(6) un de nos amis, qui se rendit ridicule par là. Il écouta toute la pièce avec un sérieux le plus sombre du monde ; et tout ce qui égayait les autres ridait son front. À tous les éclats de rire, il haussait les épaules, et regardait le parterre en pitié ; et quelquefois aussi le regardant avec dépit, il lui disait tout haut : « Ris donc, parterre, ris donc ! » Ce fut une seconde comédie, que le chagrin(7) de notre ami. Il la donna en galant homme à toute l'assemblée(8), et chacun demeura d'accord qu'on ne pouvait pas mieux jouer qu'il fit. Apprends, Marquis, je te prie, et les autres aussi, que le bon sens n'a point de place déterminée à la comédie ; que la différence du demi-louis d'or et de la pièce de quinze sols(9) ne fait rien du tout au bon goût ; que, debout et assis, on peut donner un mauvais jugement ; et qu'enfin, à le prendre en général, je me fierais assez à l'approbation du parterre, par la raison qu'entre ceux qui le composent il y en a plusieurs qui sont capables de juger d'une pièce selon les règles, et que les autres en jugent par la bonne façon d'en juger, qui est de se laisser prendre aux choses, et de n'avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule.
Le Marquis
Te voilà donc, Chevalier, le défenseur du parterre ? Parbleu ! je m'en réjouis, et je ne manquerai pas de l'avertir que tu es de ses amis. Hai ! hai ! hai ! hai ! hai ! hai !
Dorante
Ris tant que tu voudras. Je suis pour le bon sens, et ne saurais souffrir les ébullitions de cerveau de nos marquis de Mascarille(10). J'enrage de voir de ces gens qui se traduisent en ridicules, malgré leur qualité ; de ces gens qui décident toujours et parlent hardiment de toutes choses, sans s'y connaître ; qui dans une comédie se récrieront aux méchants endroits, et ne branleront pas à ceux qui sont bons ; qui voyant un tableau, ou écoutant un concert de musique, blâment de même et louent tout à contre-sens, prennent par où ils peuvent les termes de l'art qu'ils attrapent, et ne manquent jamais de les estropier, et de les mettre hors de place. Eh, morbleu ! Messieurs, taisez-vous, quand Dieu ne vous a pas donné la connaissance d'une chose ; n'apprêtez point à rire à ceux qui vous entendent parler, et songez qu'en ne disant mot, on croira peut-être que vous êtes d'habiles gens.
Texte 2 : Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, acte I, scène III, 1897.
Le premier acte est intitulé : « Une représentation à l'Hôtel de Bourgogne ». La didascalie initiale indique : « en 1640 ».
[…]
La Salle
Commencez !
Un Bourgeois (dont la perruque s'envole au bout d'une ficelle, pêchée par un page de la galerie supérieure.)
Ma perruque !
Cris de joie
Il est chauve !…
Bravo, les pages !… Ha ! ha ! ha !…
Le Bourgeois (furieux, montrant le poing.)
Petit gredin !
Rires et cris (qui commencent très fort et vont décroissant. )
Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha!
Silence complet
Le Bret (étonné.)
Ce silence soudain ?…
Un spectateur lui parle bas.
Ah ?…
Le spectateur
La chose me vient d'être certifiée.
Murmures (qui courent.)
Chut ! Il paraît ?… Non ! Si ! Dans la loge grillée.
Le Cardinal ! Le Cardinal ? Le Cardinal(11) !
Un page
Ah ! Diable, on ne va pas pouvoir se tenir mal !…
On frappe sur la scène. Tout le monde s'immobilise. Attente.
La vois d'un Marquis (dans le silence, derrière le rideau(12).)
Mouchez cette chandelle(13) !
Un autre Marquis (passant la tête par la fente du rideau.)
Une chaise !
Une chaise est passée, de main en main, au-dessus des têtes. Le marquis la prend et disparaît, non sans avoir envoyé quelques baisers aux loges.
Un spectateur
Silence !
On refrappe les trois coups. Le rideau s'ouvre. Tableau. Les marquis assis sur les côtés, dans des poses insolentes. Toile de fond représentant un décor bleuâtre de pastorale. Quatre petits lustres de cristal éclairent la scène. Les violons jouent doucement.
Le Bret (à Ragueneau, bas.)
Montfleury(14) entre en scène ?
Ragueneau (bas aussi.)
Oui, c'est lui qui commence.
Le Bret
Cyrano n'est pas là.
Ragueneau
J'ai perdu mon pari(15).
Le Bret
Tant mieux ! tant mieux !
On entend un air de musette, et Montfleury paraît en scène, énorme, dans un costume de berger de pastorale, un chapeau garni de roses penché sur l'oreille, et soufflant dans une cornemuse enrubannée.
Le parterre (applaudissant.)
Bravo, Montfleury ! Montfleury !
Texte 3 : Paul Claudel, Le Soulier de satin, Première journée, scène I, 1929.
PREMIÈRE JOURNÉE
[…]
Coup bref de trompette.
La scène de ce drame est le monde, et plus spécialement l'Espagne à la fin duxvie, à moins que ce soit le commencement du xviie siècle. L'auteur s'est permis de comprimer les pays et les époques, de même qu'à la distance voulue plusieurs lignes de montagnes séparées ne sont qu'un seul horizon.
Encore un petit coup de trompette. Coup prolongé de sifflet comme pour la manœuvre d'un bateau.
Le rideau se lève.
SCÈNE PREMIÈRE
L'Annoncier(16), le Père Jésuite.
L'annoncier
Fixons, je vous prie, mes frères, les yeux sur ce point de l'Océan Atlantique qui est à quelques degrés au-dessous de la Ligne(17) à égale distance de l'Ancien et du Nouveau Continent. On a parfaitement bien représenté ici l'épave d'un navire démâté qui flotte au gré des courants. Toutes les grandes constellations de l'un et de l'autre hémisphères, la Grande Ourse, la Petite Ourse, Cassiopée, Orion, la Croix du Sud, sont suspendues en bon ordre comme d'énormes girandoles(18) et comme de gigantesques panoplies(19) autour du ciel. Je pourrais les toucher avec ma canne. Autour du ciel. Et ici-bas un peintre qui voudrait représenter l'œuvre des pirates – des Anglais probablement – sur ce pauvre bâtiment espagnol, aurait précisément l'idée de ce mât, avec ses vergues et ses agrès(20) tombé tout au travers du pont, de ces canons culbutés, de ces écoutilles(21) ouvertes, de ces grandes taches de sang et de ces cadavres partout, spécialement de ce groupe de religieuses écroulées l'une sur l'autre. Au tronçon du grand mât est attaché un Père Jésuite, comme vous voyez, extrêmement grand et maigre. La soutane déchirée laisse voir l'épaule nue. Le voici qui parle comme il suit : « Seigneur, je vous remercie de m'avoir ainsi attaché… » Mais c'est lui qui va parler. Écoutez bien, ne toussez pas et essayez de comprendre un peu. C'est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c'est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c'est ce que vous ne trouverez pas amusant qui est le plus drôle.
Sort l'Annoncier.
Textes 4 : Jean Anouilh, Antigone, Prologue, 1944.
Un décor neutre. Trois portes semblables. Au lever du rideau, tous les personnages sont en scène. Ils bavardent, tricotent, jouent aux cartes. Le Prologue se détache et s'avance.
Le prologue(22)
Voilà. Ces personnages vont vous jouer l'histoire d'Antigone. Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. Elle pense qu'elle va être Antigone tout à l'heure, qu'elle va surgir soudain de la maigre jeune fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans la famille et se dresser seule en face du monde, seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi. Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout… Et, depuis que ce rideau s'est levé, elle sent qu'elle s'éloigne à une vitesse vertigineuse de sa sœur Ismène, qui bavarde et rit avec un jeune homme, de nous tous, qui sommes là bien tranquilles à la regarder, de nous qui n'avons pas à mourir ce soir. Le jeune homme avec qui parle la blonde, la belle, l'heureuse Ismène, c'est Hémon, le fils de Créon. Il est le fiancé d'Antigone. Tout le portait vers Ismène : son goût de la danse et des jeux, son goût du bonheur et de la réussite, sa sensualité aussi, car Ismène est bien plus belle qu'Antigone, et puis un soir, un soir de bal où il n'avait dansé qu'avec Ismène, un soir où Ismène avait été éblouissante dans sa nouvelle robe, il a été trouver Antigone qui rêvait dans un coin, comme en ce moment, ses bras entourant ses genoux, et il lui a demandé d'être sa femme. Personne n'a jamais compris pourquoi. Antigone a levé sans étonnement ses yeux graves sur lui et elle lui a dit « oui » avec un petit sourire triste… L'orchestre attaquait une nouvelle danse, Ismène riait aux éclats, là-bas, au milieu des autres garçons, et voilà, maintenant, lui, il allait être le mari d'Antigone. Il ne savait pas qu'il ne devait jamais exister de mari d'Antigone sur cette terre et que ce titre princier lui donnait seulement le droit de mourir. Cet homme robuste, aux cheveux blancs, qui médite là, près de son page, c'est Créon. C'est le roi. Il a des rides. Il est fatigué. Il joue au jeu difficile de conduire les hommes. Avant, du temps d'Œdipe, quand il n'était que le premier personnage de la cour, il aimait la musique, les belles reliures, les longues flâneries chez les petits antiquaires de Thèbes. Mais Œdipe et ses fils sont morts. Il a laissé ses livres, ses objets, il a retroussé ses manches et il a pris leur place.
CORPUS :
Question posée :
Quelles attitudes de spectateur ces textes proposent-ils ? Vous répondrez de façon organisée et synthétique.
Réponse à la question de corpus :
Les quatre textes du corpus, l'extrait de La Critique de L'École des femmes de Molière, de Cyrano de Bergerac de Rostand, du Soulier de satin de Claudel et d'Antigone d'Anouilh, qu'ils mettent en scène des spectateurs ou s'adressent directement à lui, offrent tous une réflexion sur le spectateur et sur ses différentes attitudes. En effet, les deux premiers textes jouent tous deux sur un effet de théâtre dans le théâtre : Molière présente des personnages qui viennent de voir une représentation de L'École des femmes alors que Rostand met en scène des personnages en train d'assister à une représentation à l'Hôtel de Bourgogne dans laquelle joue le célèbre acteur Montfleury. Les deux derniers, par l'intermédiaire de l'Annoncier ou du Prologue, interpellent le spectateur lors de l'exposition de la pièce. On peut ainsi distinguer plusieurs postures de spectateurs.
Certains spectateurs se laissent aller au plaisir de la représentation, aux émotions que celle-ci suscite, et adhèrent spontanément au spectacle qui leur est offert. Il s'agit là selon Dorante dans la comédie de Molière d'une réaction de « bon sens » qui consiste à « se laisser prendre aux choses » et « n'avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule ». C'est, dit-il, l'attitude du parterre qui a vu L'École des femmes, mais c'est aussi l'attitude du parterre dans la pièce de Rostand qui, par exemple, réclame le spectacle puis acclame avec enthousiasme Montfleury à son arrivée sur scène.
À l'inverse, certains spectateurs restent totalement à distance du spectacle théâtral et ont une attitude très critique. C'est le cas ainsi du Marquis de la Critique qui a simplement trouvé la pièce « détestable » et ne s'est pas « donné la peine de l'écouter » ou de son ami qui, avec mépris et cuistrerie, a gardé un « sérieux le plus sombre du monde ». De même, les marquis assis sur scène dans la représentation de Cyrano continuent de parler après les trois coups, en réclamant par exemple une chaise, et gardent « des poses insolentes » à l'ouverture des rideaux. Dans les deux pièces, les spectateurs ont une posture bien peu respectueuse par rapport à la pièce et ne semblent pas s'y intéresser.
Les textes proposent encore un autre type d'attitude possible. Les extraits du Soulier de satin et d'Antigone sollicitent la réflexion du spectateur, ils exposent la situation et présentent les personnages : le Père Jésuite dans le premier cas, Antigone, Ismène, Hémon et Créon dans le second. Le spectateur est directement impliqué, l'Annoncier l'interpelle par l'impératif et l'apostrophe dès sa première phrase : « Fixons, je vous prie, mes frères, les yeux sur ce point de l'Océan Atlantique ». De même, le Prologue déclare d'emblée : « Voilà. Ces personnages vont vous jouer l'histoire d'Antigone. » Dans les deux cas, le spectateur est incité à comprendre le spectacle, comme le demande explicitement et de façon très didactique l'Annoncier : « Écoutez bien, ne toussez pas et essayez de comprendre un peu », son intelligence est sollicitée : « c'est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau ». Cependant, ces déclarations elles-mêmes des deux personnages instaurent une certaine distance par rapport au spectacle qui est présenté en tant que tel : l'Annoncier désigne le décor, le Prologue rappelle que le rideau s'est levé et que nous « sommes là bien tranquilles à […] regarder » Antigone.
Enfin, certains spectateurs semblent vouloir se donner eux-mêmes en spectacle et venir au théâtre pour être vus et intervenir – d'ailleurs, la configuration de la salle de théâtre au xviie siècle se prête particulièrement à cela, puisque les membres de l'aristocratie peuvent prendre place sur scène. Ainsi, dans le drame de Rostand, les marquis qui se tiennent sur scène pour mieux voir la pièce se donnent en spectacle, ils adoptent des « poses » et l'un d'eux, en prenant sa chaise, envoie ostensiblement « quelques baisers aux loges ». De même, l'ami commun de Dorante et du Marquis occupe lui aussi un siège sur scène et offre à la salle « une seconde comédie » en affichant son ennui et son mépris, en déclarant tout haut pendant la représentation : « Ris donc, parterre, ris donc ! » Le spectacle peut être tout autant dans la salle que sur la scène. Dans Cyrano, les pages chahutent en volant la perruque d'un bourgeois et l'un d'eux, en apprenant la présence du Cardinal, déclare « diable, on ne va pas pouvoir se tenir mal ! ». Dans cette pièce, l'ambiance de la salle s'avère particulièrement agitée.
Ainsi, ces textes questionnent le rapport du spectateur à la représentation, et notamment son degré d'implication dans le spectacle. Ils suggèrent aux spectateurs différentes attitudes possibles, de la plus spontanée à la plus distanciée, de la plus attentive et réfléchie à la plus turbulente.
Dissertation :
Question posée :
Dans quelle mesure le spectateur est-il partie prenante de la représentation théâtrale ?
Vous répondrez en faisant référence aux textes du corpus, aux œuvres étudiées en classe, et à celles que vous avez vues ou lues.
Réponse à la question de la dissertation :
Introduction :
Au sens étymologique, le spectateur est celui qui regarde. Il est souvent associé, dans la langue courante, à celui qui n'agit pas, qui n'intervient pas, qui reste dans la passivité confortable de l'observateur face aux drames qui se jouent devant lui. Pourtant, lorsqu'il s'agit de théâtre, à bien y réfléchir, le spectateur est un élément essentiel de la représentation : sans public, pas de théâtre. Dès lors, dans quelle mesure est-il partie prenante de la représentation théâtrale ? Il s'agit de réfléchir aux différents degrés d'implication du spectateur, mais aussi des spectateurs en tant que groupe ; quelle place lui réservent les créateurs de la pièce, c'est-à-dire le dramaturge et le metteur en scène ? Nous montrerons d'abord à quel point le théâtre est voué à impliquer le public. Nous verrons ensuite que le spectateur est un arbitre du destin d'une pièce. Enfin, nous montrerons les limites de ces interactions.
I. Le théâtre nous parle de nous
1. Le public est au cœur de l'énonciation théâtrale
Le théâtre est un art essentiellement voué au public. C'est ainsi qu'il est régi par le principe de la double énonciation : toute parole émise par un personnage de la pièce est reçue simultanément par un autre personnage et, parfois avec une signification différente, par le public. Ainsi, lorsque Dorante s'adresse au Marquis dans La Critique de L'École des femmes et raille les mauvais spectateurs, il interpelle très vite « les autres aussi » : à travers lui, Molière s'adresse aux spectateurs et nous explique sa conception du spectateur. D'ailleurs, les auteurs de comédies, entre autres, jouent souvent avec ce principe afin de créer des situations de décalage comique, par exemple dans le cas de quiproquos ou de personnage(s) caché(s) sur scène. Ainsi, dans la scène 4 de l'acte IV du Tartuffe de Molière, pour lui prouver que Tartuffe n'est qu'un imposteur, Dorine demande à son mari Orgon de se cacher sous une table pour écouter les scandaleux propos du faux dévot. Cette scène est entièrement construite pour le public, qui, sachant qu'Orgon est dissimulé, rit beaucoup en imaginant ses réactions au moment où Tartuffe dit de lui : « C'est un homme, entre nous, à mener par le nez. » Le dramaturge prend donc en compte le public, y compris à travers les thèmes qu'il traite.
2. Le théâtre parle des hommes de son temps
Le théâtre parle des hommes de son époque. Ainsi, la comédie met en scène des caractères et des mœurs qui renvoient directement à ceux du public. Le rire est en partie lié à cette reconnaissance et à cette identification possible. Dans Le Bourgeois gentilhomme, par exemple, le personnage principal reflète, sous une forme caricaturale et ridicule, l'essor de la bourgeoisie au xviie siècle. De manière plus accentuée encore, le vaudeville est indissociable du contexte historique et social dans lequel il est né, c'est-à-dire le second Empire, période où la bourgeoisie s'est imposée comme la classe dominante. Il n'est quasiment question que d'intrigues légères où les questions de mœurs conjugales se mêlent à des préoccupations d'argent, et où la réflexion, du moins en apparence, est reléguée au second plan. Le public d'alors trouve donc dans ces pièces des personnages qui lui ressemblent. Impliqué parce que l'on parle de lui, le spectateur peut également être impliqué affectivement.
3. Le théâtre nous implique affectivement
Plus que toute autre forme d'expression artistique, le théâtre implique affectivement le spectateur. Portée et incarnée par une présence physique réelle, la parole, s'adressant à notre sensibilité, transmet des émotions immédiates, que le dispositif scénographique peut s'employer à mettre à distance ou, comme le plus souvent, à accentuer. La tragédie vise d'ailleurs à faire éprouver au spectateur des émotions précises – terreur et pitié – afin que la catharsis, c'est-à-dire la purification des passions, puisse opérer. Dès lors, la dramaturgie classique met tout en œuvre pour conditionner le public en resserrant le drame au plus près du temps réel de la représentation : c'est la contrainte de l'unité de temps. Lorsqu'une scène ne peut être exposée parce qu'elle est située dans un temps ou dans un lieu qui n'est pas celui de la représentation, un personnage la raconte, et là encore, la sensibilité du spectateur est largement sollicitée. Que l'on pense à Phèdre et à la mort d'Hippolyte racontée par Théramène, confident et ami du héros défunt ; déjà émouvante en soi, la scène est sublimée par l'émotion du narrateur : « Excusez ma douleur. Cette image cruelle/ Sera pour moi de pleurs une source éternelle. » On peut aisément imaginer que, porté par un comédien, ce récit puisse profondément émouvoir le spectateur. Le public est donc sollicité émotionnellement par la représentation théâtrale ; il peut même exercer une certaine influence sur elle.
II. Le théâtre nous fait intervenir
1. Le public est un actant de la représentation
Le public est une entité à distinguer du spectateur individuel, dont les réactions sont variables et personnelles. Réunis dans un même lieu, les spectateurs deviennent un actant de la représentation. Dès lors, leurs réactions collectives créent une atmosphère particulière, que Rostand, dans la scène d'exposition de Cyrano de Bergerac, parvient à recréer : nous sommes dans une salle de théâtre en 1640, et le lever de rideau est précédé de manifestations joyeuses d'un parterre populaire qui ne demande qu'à se divertir. Cette même pièce, d'ailleurs, fut accueillie lors de sa première représentation en 1897 par des ovations sans précédent. Les comédiens en témoignent d'ailleurs : une représentation réussie est le fruit d'une alchimie mystérieuse entre la scène et son public, qui, d'une certaine façon, détient le pouvoir de tétaniser ou de galvaniser les acteurs. Il peut même présider aux destinées d'une pièce.
2. Le public peut influencer le destin d'une pièce
Le pouvoir du public sur le destin d'une pièce de théâtre est évident. Si de nos jours il y a peu de chances qu'une nouvelle « bataille d'Hernani » ait lieu à l'issue d'une représentation, il n'en demeure pas moins que le public a le pouvoir de sceller le destin d'un spectacle dramatique. Au xviie siècle, certains dramaturges se sont parfois désolés que leur appréciation se fonde, parmi les gens de la noblesse, sur des critères étrangers au bon sens et à l'esthétique. Dans sa Critique de L'École des femmes, Molière met ainsi en scène un marquis ridicule qui trouve L'École des femmes « détestable » parce que le « parterre » y fait de « continuels éclats de rire ». Molière, à travers le personnage de Dorante, fustige ainsi « ces gens » qui n'imaginent pas que le peuple puisse évaluer une représentation à sa juste valeur. D'ailleurs, c'est la réception même de cette première grande comédie qui a commandé l'écriture de La Critique de L'École des femmes. En l'occurrence, le public aura non seulement influencé le succès d'une pièce, mais sa réaction aura contribué à en écrire une seconde. Le pouvoir d'intervention du public sur une pièce déjà représentée n'est pas négligeable ; les créateurs d'une pièce peuvent même lui donner l'impression qu'il est totalement partie prenante du spectacle.
3. Texte et mise en scène peuvent tenir compte du spectateur
Molière ne s'est pas privé de donner une place au spectateur, à travers les nombreux apartés de ses personnages. Dans L'Avare, Harpagon va même jusqu'à s'adresser directement aux spectateurs, qu'il soupçonne d'avoir volé sa cassette ! Le théâtre moderne fait exploser de plus en plus nettement ce « quatrième mur » invisible qui sépare l'espace de la mimesis de celui du spectateur. Le dramaturge allemand Bertold Brecht fonde ainsi son théâtre sur ce qu'il appelle lui-même la distanciation : un effet d'« étrangeté » du spectateur par rapport à ce qu'il regarde, niant l'identification. C'est ainsi que La Résistible Ascension d'Arturo Ui s'achève par une apostrophe au spectateur : « Agissez au lieu de bavarder. » De même, dans la réécriture du mythe d'Antigone par Anouilh, le Prologue élevé au statut de sujet parlant s'adresse explicitement au public pour lui exposer la pièce et même anticiper son dénouement : « Ces personnages vont vous jouer l'histoire d'Antigone. […] Elle pense qu'elle va mourir. » Intégré dans le drame, le spectateur ne sait plus où s'arrêtent les frontières de la pièce, où commence la réalité. Il est donc de plus en plus pris à partie dans le dispositif scénique. Il s'agit par-là de le faire s'interroger sur des problématiques théâtrales telles que le rapport entre vérité et illusion. Cependant, n'est-il pas illusoire de penser qu'il peut avoir un rôle actif dans la représentation ?
III. La représentation théâtrale limite l'implication du spectateur
1. L'auteur et le metteur en scène sont les seuls maîtres d'une pièce
Le spectateur n'est que le dernier maillon du processus de création d'une pièce. Une évidence s'impose : lorsque le public se rend à une représentation théâtrale, tout est déjà écrit par le dramaturge et programmé par le metteur en scène. Ce sont eux qui, de façon complémentaire, déterminent le sens d'une pièce, quand bien même l'interprétation peut être polysémique. Cette passivité du spectateur face à la puissance du dramaturge et du metteur en scène est fort bien illustrée par le personnage de Pridamant dans L'Illusion comique : celui-ci est persuadé que le Mage Alcandre lui a montré la mort de son fils Clindor, jusqu'au moment où il apprend qu'en réalité le jeune homme ne faisait qu'interpréter un rôle tragique. Le théâtre, art de l'illusion, n'est en fait qu'un jeu plus ou moins complexe de miroirs ; le spectateur, certes, peut avoir l'impression de s'y voir, mais il n'aura aucune possibilité d'agir sur son reflet. Lorsque Brecht parle de la liberté du spectateur, il évoque en fait sa liberté d'être humain, non celle qui l'autoriserait à répliquer aux paroles des personnages sur scène. Le théâtre est donc un univers codifié dans lequel le spectateur est soumis à une discipline.
2. Le spectateur doit obéir aux codes de la représentation
Si le spectateur est au cœur de la communication théâtrale, il n'est cependant qu'en position de récepteur. Cette place nécessite de sa part une attention particulière : s'il veut jouir des subtilités du texte et de sa mise en scène, il doit être capable dans le même temps de comprendre le premier degré, de saisir les allusions, de décoder les enjeux, d'être sensible aux effets de décalage… Anne Ubersfeld parle à juste titre de « sport du regard » pour définir l'activité du spectateur de théâtre. Ce « sport » impose donc une discipline simple, mais contraignante : écouter, se taire. Dans Le Soulier de satin de Claudel, le personnage de l'Annoncier rappelle clairement au spectateur ses devoirs, nécessaires à la compréhension de la pièce : « Écoutez bien, ne toussez pas et essayez de comprendre un peu. » Par cette provocation, le dramaturge suggère le portrait du spectateur idéal, bienveillant, concentré, oubliant son propre corps pour se transporter dans le drame, aussi complexe fût-il. C'est un peu ce qu'affirme aussi Dorante dans La Critique de L'École des femmes : le bon spectateur doit « n'avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule ». Les conventions de la représentation ne sont donc pas seulement « techniques » ; le spectateur doit se contraindre également à une discipline morale. C'est à ce prix que peut s'exercer pleinement sa seule fonction : démêler l'écheveau des messages qu'on lui transmet pour construire du sens.
Conclusion :
Ainsi, le spectateur occupe une place privilégiée dans la représentation théâtrale. Son importance est telle que même les comédies classiques, pour lesquelles prime l'illusion réaliste, intègrent parfois sa présence, tandis que le théâtre moderne en fait souvent un élément clé de la représentation. Cependant, l'interaction réelle entre le public et la représentation théâtrale est périphérique ; une représentation ne crée que de l'illusion, et la participation effective du spectateur n'est qu'une illusion de plus. Le spectateur est partie prenante de la pièce qu'il regarde, mais contrairement aux personnages, il n'agit pas sur la fable, et contrairement aux comédiens, il n'a pas à être un autre que lui-même. En revanche, il est possible qu'une représentation de grande qualité le fasse changer en profondeur.
Commentaire du binôme :
Voilà pour la dissertation à partir de quatre pièces de théâtre et de beaucoup de connaissances ...
Ce sujet fait écho à la question sur le corpus des vacances car on retrouve le spectateur dans l'un des aspects du théâtre.
L'introduction est classique avec une phrase d'accroche, une problématique qui reprend la question et qui va même un peu plus loin : «Il s'agit de réfléchir aux différents degrés d'implication du spectateur, mais aussi des spectateurs en tant que groupe ; quelle place lui réservent les créateurs de la pièce, c'est-à-dire le dramaturge et le metteur en scène ? "
Dans la première partie, le narrateur explique que le théâtre est une représentation de la réalité et qu'il nous affecte donc particulièrement.
Dans la seconde partie, il nous explique en quoi la représentation théâtrale nous fait intervenir. (Reception de la pièce par le public, acteurs qui s'adressent au public etc. ...)
La troisième partie était, selon moi, la plus difficile à comprendre.
Elle nous explique comment la participation des spectateurs est en fait une illusion.
En ce qui concerne la conclusion j'ai une question pour Mr. Vastel.
Le prof d'histoire nous a conseillé d'éviter les conclusions "moralisatrices" comme justement, l'est, en quelque sorte, la dernière phrase : "En revanche, il est possible qu'une représentation de grande qualité le fasse changer en profondeur."
Ce conseil concerne-t-il uniquement l'histoire ou l'ouverture de cette dissertation est-elle maladroite ?
En espérant vous avoir aidé en postant cet exercice.
Camille & Grégoire.
Réponse : oui en effet, évitez les conclusions moralisatrices.
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